Textes

Français

À l’approche de la cinquantaine, Laurence Limbour donne un nouveau cap à sa vie en renouant avec les bancs de la faculté qu’elle quitte en 2016, un Master d’Arts Plastiques en poche. Elle développe durant cette période une esthétique du reste et de la perte, puisant aux sources de la déchéance, la matière de son art. Réhabiliter l’insignifiant, le désuet, le rejeté, le rebut, gouverne sa pratique.

Ainsi, la matière cheveu s’impose très vite dans sa production. Sous ses doigts alchimistes, l’informe se fait forme, l’infra mince s’offre une visibilité, se joue des apparences et s’aventure sur le terrain de la picturalité tout en en détournant les codes.

Par la fusion du support et de la couleur, la peinture se trouve en effet revisitée dans les moyens qu’elle met traditionnellement en œuvre. La toile se fait dentelle, alors que la peinture trouve son pendant dans la pigmentation naturelle ou artificielle du cheveu. A la planéité pleine et entière de la toile, s’oppose l’assemblage vertical de fines tranches de bandes de cheveux. Au châssis unique se substitut une multiplicité de supports possibles. La texture ne fait plus l’objet d’une représentation, mais se donne dans toute son authenticité. Enfin, le sujet, entre présence et absence, se fait évanescent. Ce travail de déconstruction, qui n’est pas sans accointances avec le mouvement artistique « Supports/ Surfaces », cherche donc à établir un dialogue entre la peinture et la sculpture.

L’usage de la couleur dans ses travaux n’a toutefois pas pour seul objectif de servir un propos pictural. Il œuvre également au détricotage d’un imaginaire puissamment ancré et sombre autour du fragment pilaire. Son expérience tactile et sensible sur ce matériau l’a en effet, très rapidement propulsée dans un tout autre univers symbolique, celui de la vie. Loin d’être une matière inerte, ce matériau se dévoile ainsi à son esprit dans toute sa puissance, comme un véritable concentré d’humanité et de vitalité, vecteur d’une profonde empathie. Dès lors, réhabiliter cette communauté de fragments habités, tombée en disgrâce, résonnera en elle comme une impérieuse nécessité.

Dans une mise en tension entre mémoire et oubli, le travail poétique de Laurence Limbour semble remettre au jour la tradition des tableaux de cheveux, encore très en vogue au début du XXe siècle. Pourtant, nulle idée ici de relique commémorative. Ses tableaux empruntent plutôt le chemin imaginaire d’une destinée commune où l’individuel se dilue dans l’aventure collective, où le temps ne se conjugue désormais plus au passé.

English

As she’s about to celebrate her half a century, Laurence Limbour sets out on a new journey: she rekindles with university benches and graduates in 2016, her Plastic Arts’ Master in hand. During her studies, Laurence explores the aesthetics of residues and waste, rooting her art in decay. Governing her artistic practice is the reinstatement of the insignificant, the obsolete, the discarded, the rejects.

Hair appeared very quickly as the natural choice of matter for producing her Art Under her alchemist touch the shapeless would become shape, the infinitely thin would become visible and would morph to explore the sphere of picturalism -always challenging established codes.

Hair and colour merge to become an entirely new matter with which to paint, revisiting traditional painting techniques. Here, the blank canvas becomes lace and the paint gains impact through the hair’s natural or artificial pigments. The total and utter flatness of the canvas is contrasted by the thin layers of vertically­stacked hair, replacing a once unique frame by multiple possible supports for the Art to take form. Texture isn’t only there for the show, but comes to life in all it’s authenticity. The subject, caught between presence and absence, becomes evanescent. This careful dismantling of the matter is linked to the Supports/ Surfaces movement, thus creating a dialogue between sculpture and paint

One use of colour in Laurence’s work is to support the pictorial impact of her work, but it also aims to unravel the macabre and tightly pegged conceptions around hair fragments. Her tactile and sensitive relationship with this matter very quickly invited Laurence into an entirely new symbolic universe: that of Life. Far from being lifeless, hair fragments unveil to her the immense force they encapsulate and appear as crystalised humanity and liveliness, triggering profound empathy. This is why rehabilitating this population of hair fragments, previously full of life and now fallen into disgrace, echoes within Laurence as an imperious necessity.

By creating this tension between memory and oblivion, Laurence Limbour’s poetic craft also seems to bring back a tradition of hair paintings that was quite popular in the early 20th century – but there is no commemorative intention here, nor does Laurence wish to create relics. Her paintings rather take us on an imaginary path where individual destinies intertwine to become one unique collective experience, where the past is brought into the present.

Par Juliette Paillou

Symbole de pouvoir, de volupté, ou même de distinction sociale, la chevelure par ses multiples formes culturelles et significations sociologiques obsède et fascine. Si le cheveu compte de multiples usages, du rituel a la coquetterie, son statut de matériau reste mineur dans la production occidentale. A peine coupe, le cheveu se voit dessaisi de sa superbe et sa symbolique s’enlise bien souvent dans une dialectique autour de !’absence et de la mort.

Dans son processus de création, Laurence Limbour met en branle cette vision première du fragment pilaire par un travail préliminaire de déconstruction des codes plastiques de cette matière. Trie, décolore, recolore, laque, dore a la feuille, sculpte en masse, ou amalgame en une fine dentelle, cet agrégat d’humanité est mis au diapason par une diversité de gestes et de techniques, détourne du préjuge de son acceptation, et pousse a bout dans son potentiel. C’est comme matériau absolu et pluriel dans son utilisation qu’il tire ses lettres de noblesse.

Dans une approche d’humilité vis-à-vis de ce matériau, les moyens mis en œuvre par Laurence Limbour ont vœux d’être respectueux, simples, sans interface ; patience et répétition forment les clefs de voûte de son processus créatif. Délibérément présente dans son travail, la couleur est appelée au service d’un langage du vivant. Ainsi, dans un entrelacs de temporalités, les petites histoires se mêlent, viennent assaillir les grandes et prennent corps ensemble. Com me pour creuser le sillon d’une mémoire universelle les formes se font anonymes, le figuratif ne s’invite que pour mieux tirer le fil tenu d’une mémoire enfouie.

Ainsi dépossède de ses stigmates, le cheveu œuvre a la déconstruction picturale et questionne la classification traditionnelle des arts plastiques. Considérées comme distinctes, les caractéristiques sensorielles définies par les beaux-arts sont chez Laurence Limbour détournées et mises en dialogue, offrant à voir de multiples complémentarités entre la matière du cheveu et d’autres supports, sans qu’il n’y perdre de sa propre singularité.

Par cette transfiguration de la matière aux frontières plastiques poreuses, Laurence Limbour nous invite à nous questionner sur notre capacité à nous illusionner, autant par notre perception que par notre imaginaire. Dans cette entreprise poétique de réhabilitation elle nous amène également a repenser le cheveu, sous !’angle de ses qualités intrinsèques et plurielles, tout à la fois universel, naturel, autonome, produit de l’homme, support d’écriture, mesure du temps, et inscrit par son imputrescibilité dans une chronologie qui nous échappe. Les intérêts et symboles sont donc légion dans cette esthétique du reste et de la perte, puisqu’à l’expérimentation plastique s’ensuit une déconstruction théorique, a la disgrâce s’ensuit une renaissance, nous faisant par la même entrevoir un autre possible.